Kerak de Moab

Jordanie | Terre d'Oultre Jourdain

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Toponymes connus

  • Kerak de Moab Med.
  • Pierre du Désert Med.
  • Cracum Montis regalis Latin
  • al-Karak - الكرك Arabic Contemp.
  • Karak al-Shawbak Arabic
  • Petra Deserti
  • Crac de Montreal
  • Civitas Petracensis Latin

Description

Français | Deutsch

Histoire

La Terre d’Outre Jourdain, conquise en 1118 par le roi Baudouin 1er, avait été originellement inféodée à Romain du Puy. Ce dernier, suspecté de félonie, fut dépossédé de ses terres en 1132 par le roi Foulque pour être remplacé par Payen le Bouteiller, ainsi nommé pour sa fonction à la cour de Jérusalem.

Payen s’attacha très vite à défendre son fief contre les rezzous venant du nord et de l’est en construisant à cet effet une toute nouvelle forteresse en pays de Moab, à hauteur de la ville d’al-Karak. lLa forteresse, appelée dans les chroniques franques le « Krak de Moab » ou plus affectueusement Petra deserti – la pierre du désert – fut terminée en 1142, devenant bien vite la résidence des seigneurs d’Outre Jourdain, au détriment de Montréal, relégué au rôle de forteresse secondaire…

L’importance du site, remarquablement discernée par Payen le bouteiller, provenait de ce qu’il commandait aux pistes des caravanes reliant la Syrie à l’Égypte et la Mecque. Avant les Croisades, ces caravanes passaient normalement par la Judée. La conquête de la Judée par les Francs les contraignit à un long et pénible détour au sud et à l’est de la Mer morte, à travers le sillon d’Idumée et le plateau de Moab. Et voici que la fondation du Krak de Moab après celle de Montréal, rendait ce détour inutile, les obligeant à passer sous les créneaux francs ou à affronter le désert et les vils bédouins…

En 1170, l’atabeg Nur al-Din fit une démonstration devant le Krak afin de faciliter le passage d’une grande caravane dans la région. Trois années plus tard, alors que le roi Amaury combattait aux confins de la Cilicie, il en entreprit véritablement le siège alors que le seigneur de Kérak – Milon de Plancy – guerroyait aux côtés de son roi. Ce fut au vieux connétable du royaume Onfroi de Toron que revint le devoir de défendre la citadelle : organisant en hâte avec l’arrière ban une armée de renfort, il partit à marche forcée au secours de Kérak. La nouvelle de cette mobilisation suffit à provoquer la retraite de Nur al-Din.

Quelques années plus tard, l’ancien prince d’Antioche Renaud de Châtillon, qui venait de recouvrer sa liberté après seize ans passés dans les geôles alépines, épousa Etiennette, veuve de Milon de Plancy, devenant ainsi le nouveau sire d’Outre Jourdain. A peine en possession de son fief, Renaud se conduisit à son habitude en chevalier brigand : vers 1181, en pleine paix, le vieil aventurier poussa jusqu’à l’oasis de Taimâ – à mi-chemin entre la Transjordanie et Médine – et aurait sans doute ravagé les villes saintes de l’Islam sans une énergique diversion du neveu de Saladin en pays de Moab.

L’année d’après, Renaud monta cette fois-ci une expédition de piraterie en Mer rouge : il entreprit la construction au Krak d’une série de navires dont les parties démontées furent transportés à dos de chameaux jusqu’au golfe d’Aquaba pour tenter de frapper une nouvelle fois l’Islam en plein cœur.

S’en était trop pour Saladin pour qui il fallait en finir avec ce péril incessant qui menaçait la voie sacrée du Hajj . Une première fois, en novembre 1183, le sultan assiégea la forteresse. Dans sa superbe, le seigneur de Kérak prétendit défendre non seulement la citadelle mais aussi la ville formée en dehors des murailles. Les défenses furent rapidement forcées et la forteresse elle-même eut été prise sans la bravoure d’un chevalier nommé Yvain, qui défendit à lui tout seul le pont-levis : « criblé de flèches, raconte les chroniques, il arrêta l’ennemi et ne rentra dans la forteresse que le dernier, quand tous les chrétiens eurent passés ».

Un siège en règle commença alors. La situation des assiégés était assez délicate en ce qu’à l’arrivée de Saladin, on célébrait des noces, si bien que l’investissement de la place eut pour conséquence d’enfermer tout un peuple de jongleurs, chanteurs et ménestrels venus de Jérusalem, en somme beaucoup trop de bouches superflues pour subir la rigueur d’un siège…

La dame du château tenta de maintenir quelque courtoisie en rappelant à Saladin leurs relations amicales de jadis (la légende veut en effet que lorsque Saladin adolescent se trouvait otage à Kérak, il faisait jouer et portait dans ses bras une enfant qui n’était autre que la future dame de Kérak ). Saladin, demanda quelle était la tour des jeunes mariés – il s’agissait du mariage d’Onfroi, fils né de la première union d’Etiennette, avec la princesse Isabelle de Jérusalem – et donna l’ordre à son armée de l’épargner…

Le roi Baudouin IV, presque aveugle et déjà moribond, vint rétablir la situation. La flamme d’un haut bûcher allumé sur la tour de David qui, de proche en proche, provoqua d’autres signaux dans les postes de garde de la Judée méridionale, annonçait aux assiégés que les secours approchaient.

Alors que l’armée de Jérusalem se trouvait à la pointe méridionale de la Mer morte, Saladin fit démanteler ses huit mangonneaux et s’en retourna à Damas. Une dernière fois, le roi lépreux fit une entrée triomphale dans la « Pierre du désert » qu’il fit encore fortifier…

Mais la rancœur de Saladin contre Kérak et Renaud était telle qu’en août 1184, il quitta de nouveau Damas pour assiéger la citadelle. Cette fois-ci, il avait amené avec lui une artillerie beaucoup plus conséquente et les chroniques arabes insistent sur la violence du bombardement, les énormes blocs de pierre pilonnant les tours et courtines de la forteresse…Mais une fois encore, l’arrivée des troupes de Jérusalem menée cette fois-ci par Raymond III de Tripoli sauva la citadelle.

Au commencement de la funeste année 1187, Renaud, qui ne pouvait vivre sans rapine – malgré les effets bénéfiques que la paix procurait à son territoire en terme de droits de douane -, dépouilla une caravane d’une importance considérable, parmi laquelle aurait figuré la propre sœur de Saladin. La paix était rompue et au mois de mars suivant, Saladin ravagea à la tète d’une belle armée le fief de Renaud, procédant, sous ses yeux impuissants, à une dévastation méthodique de ses terres.

Le désastre final d’Hattin et la mort de Renaud permirent à Saladin d’entreprendre plus sereinement le siège de Kérak. La veuve de Renaud était venue l’implorer pour obtenir la liberté de son fils Onfroi fait prisonnier à Hattin, ce que le sultan lui accorda en échange de la reddition des forteresses de Kérak et Montréal. C’était sans compter la détermination de leurs héroïques défenseurs qui, malgré l’invite faite par leurs seigneurs, résistèrent encore pendant de longs mois, en proie à des maux atroces.

Ainsi, les défenseurs de Kérak n’hésitèrent pas à envoyer leur propres femmes et enfants aux assiégeants en échange de quelque pitance. Ils ne demandèrent l’ aman qu’en novembre 1188, soit après huit mois de résistance.

Admirant leur courage, le frère de Saladin les épargna et ils purent retrouver leur famille et regagner libre les dernières enclaves chrétiennes. On raconte que certains préférèrent simplement traverser la vallée et s’établir non loin du château, abjurant sans doute leur foi pour continuer à vivre sur les terres de leurs pères. Cette légende semble aujourd’hui avérée, puisque le village faisant face à Kérak s’appelait il y a encore quelques années al-Franj (le Franc) et une simple promenade en ses ruelles suffit pour relever non sans stupéfaction un nombre conséquent de chevelures blondes ou rousses, ce qui peut paraitre pour le moins surprenant en cette région !

Description

La citadelle de Kérak, que l’on découvre, majestueuse, en arrivant du nord par la route du Roi, s’étend sur quelques 220 mètres pour une largeur variant de 125 (sur le versant faisant face à la ville) à 40 mètres au niveau du réduit mamelouk.

Le front nord du château, précisément celui qui fait face à la ville, consiste en un gigantesque mur bouclier, héritage franc composé de pierres d’un brun sombre à peine dégrossies (on reconnait aisément le travail franc sur tout le pourtour du château, ces derniers ayant utilisé cette fameuse pierre brune d’une dureté extrême, typique de la région de Kérak).

Ce mur est lui même défendu par un impressionnant fossé, jadis d’une trentaine de mètres de profondeur. A l’époque des Francs, l’entrée se faisait de ce côté par la poterne gauche (à l’opposé de l’entrée actuelle) construite de sorte que tout défenseur trouvant refuge dans la citadelle expose sa gauche et donc, son bouclier. Son étroitesse rend plausible le fait d’arme du chevalier Yvain rapporté dans les chroniques.

Adossés au mur bouclier, se trouvent deux niveaux de galeries voûtées, manifestement franques, le niveau inférieur servant originellement d’écurie. Au fond de ladite galerie, une pierre sculptée rappelle l’occupation du site par les Nabatéens.

Le front ouest du château consiste en de lumineuses murailles de facture mamelouke, très impressionnantes lorsqu’on les longe par le chemin de chèvres bordant le ravin. On parvient ainsi à l’entrée monumentale mamelouke – aujourd’hui condamnée – dont l’arche s’élève à près de 12 mètres de hauteur. Du haut des remparts, la vue sur le Wadi Karak est magnifique et porte – parait-il – par temps clair jusqu’au Mont des Oliviers.

Le front est recèle quant à lui des tours diverses reflétant les travaux d’extension effectués après la période franque. D’autres travaux, contemporains ceux-là, défigurent chaque année un peu plus le merveilleux glacis franc qui faisait le charme du château il y a encore quelques décennies…

Reste à évoquer l’élément le plus confondant de la forteresse : le réduit mamelouk au sud du site. Véritable donjon-éperon construit par Baïbars en 1264, il s’agit en vérité d’un mur bouclier sur quatre niveaux défendant l’endroit le plus exposé du site, à savoir le versant faisant face à la colline Umm at-Thalleja – la mère des neiges – qui surplombe légèrement le château, constituant une position d’artillerie idéale. En contrebas de cet ouvrage, se trouvent un fossé creusé par les Croisés – une route passe maintenant en son lit – ainsi qu’un berquil – lui aussi de facture franque, on reconnaitra la taille typique des pierres utilisées – , vaste bassin à ciel ouvert permettant de recueillir les eaux de pluies en temps de paix et de tenir éloignés les sapeurs ennemis par temps de guerre…

Des documents du XIIème siècle attestent que le seigneur de Kérak avait sa propre chapelle, laquelle pouvait accueillir une large partie de la garnison. La chapelle et la sacristie y attenant sont aujourd’hui pour une large part ruinées, bien que certaines voûtes soient encore debout.

A noter enfin un vaste et compliqué système de galeries souterraines parcourant le site, notamment au travers d’un corridor reliant le nord au sud, à la fin duquel on accède aux appartements de Renaud de Châtillon…

La ville de Kérak est bâtie quant à elle sur un plateau triangulaire – dont l’un des angles se termine par le château – bordé à l’ouest par le Wadi Kérak, qui alimente la Mer Morte, et au sud par le village moderne d’ al-Smahabiyyé , appelé encore il y a peu al-Franj . L’empreinte mamelouke y est indéniable, ces derniers voulant faire de Kérak une ville inexpugnable face à l’envahisseur mongol.

On trouve en s’y promenant d’impressionnantes tours, dont certaines portent encore le nom des familles qui en avaient la garde : ainsi, burj al-Banawi surplombée par les panthères héraldiques de Baïbars, burj al-Sa’ub , véritable petite forteresse sur le front est, ou encore la tour dite « de Baïbars », en réalité un énième mur bouclier. L’entrée dans la ville se faisait à l’époque mamelouke par deux entrées souterraines extrudées dans le roc. Ces dernières, toujours visibles bien que bouchées, se situent, la première dans la rue Salah ad-Din (rue que l’on emprunte pour contourner la ville en arrivant du nord) l’autre près de la tour de Baïbars.